lundi 11 février 2013

L’éthique reconstructive par Jean-Marc Ferry


Que veut dire être moral ? 
Ce n’est pas seulement vivre selon la vérité. Autrui appelle à être reconnu pour lui-même et pas seulement à travers ses prétentions à la validité. Sa personne n’est pas soluble dans les raisons qu’il met en discussion. Lorsque d’aventure ses raisons ne sont pas reconnues valables, lors même que son identité n’est pas assurée, autrui n’en est pas moins à considérer dans un droit justifiant que ses intérêts soient pris en compte dans la décision pratique finale. Il y a, autrement dit, une substantialité d’autrui comme personne qui, en tant que sujet de droit, est davantage qu’un porteur d’arguments. Le Soi est plutôt la totalité de l’existence propre [1], et pour autant que cette totalité ne se définit pas sur un horizon seulement mondain (ne se clôt pas dans la mort), la personne est rigoureusement indisponible [2], par quoi l’ascription de la dignité humaine ne saurait dépendre d’aucune condition sociale ou autre. Si l’on accepte l’idée d’une telle inconditionnalité de la dignité humaine, dont le concept théologique aide à préciser l’intuition, alors être moral ne signifie pas seulement se lier à la raison des arguments, mais aussi : respecter la personne en tant que telle. 
Cela veut dire : la respecter indépendamment de tout positionnement de sa part, indépendamment même de sa participation à une communauté d’argumentation, qu’elle soit actuelle ou virtuelle. L’expérience d’autrui est comme le témoin donnant à comprendre qu’être moral ne consiste pas seulement à s’indexer à la vérité en se liant à la loi de l’argument meilleur : « No force except that of the better argument in exercised ! ». Être moral, c’est aussi bien considérer autrui dans sa vulnérabilité, à travers les expressions qui trahissent ses convictions, ses croyances, ses préoccupations, ses aspirations, ses espoirs, ses désirs, ses peurs. Être moral, c’est donc aussi se préoccuper d’autrui sous l’aspect substantiel de ce qu’il éprouve de façon vitale. C’est se décentrer par conséquent dans un souci de l’autre dont on sent plus ou moins obscurément qu’il devraitpouvoir égaler le souci de soi-même. 
C’est ainsi que Hegel pouvait relier la structure de l’esprit à celle de l’amour ; car l’amour est cette figure de la reconnaissance de soi dans l’autre, qui nous suggère que la conscience individuelle ne se réalise qu’en se transcendant, qu’en sortant de soi-même pour se porter vers autrui. Dans l’amour, expliquait Hegel, « j’ai ma conscience de soi non pas en moi-même mais dans l’autre », tandis que cet autre « est de même hors de soi-même, il a sa conscience de soi seulement en moi, et tous les deux nous sommes seulement cette conscience de leur être hors de soi et de leur identité » [3]. Aussi l’existence d’autrui est-elle davantage que ce qu’implique l’idée d’un fondement intersubjectif du sens et de la validité en général. L’existence d’un autrui substantiel est plutôt ce à quoi se réfère le principe d’une reconnaissance réalisée dans la communauté éthique de ceux dont l’essence consiste à exister dans les autres ; autrement dit : les personnes. Concurremment au principe de vérité, le principe de reconnaissance sous-tend la morale en général et l’éthique communicationnelle en particulier. Cela revient à situer l’éthique au-delà du registre strictement argumentatif. Cet au-delà est celui d’une éthique reconstructive
C'est un fragment de l'article de Jean-Marc Ferry sur raison-publique.fr 
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