mercredi 12 décembre 2012

La raison des émotions. Réflexivités affectées


Bienveillance et intelligence : ce que nous fait la parole de l’autre

Parmi les invités d’Infusoir en février, Julie Henry a écrit un billet, Les commentaires : espace et outil de réflexivité, ou occasion d’exprimer ses marottes ? Ce billet a déclenché des discussions intéressantes et assez nombreuses car, parmi les blogueurs, tous se sont sentis concernés par la question du commentaire. Son commentaire sur le commentaire faisait une certaine place à l’affect puisqu’elle y parlait de bienveillance et de bénévolence :
[…] on bénéficie enfin de ce regard extérieur si précieux, qui nous permet de voir dans notre réflexion même ce que nous n’avions pas perçu. On citera comme exemple ce regard lucide et bienveillant tout à la fois, qui formule les choses avec une clarté que nous n’avions jamais atteinte, ou encore cette lecture intelligente qui décèle le maillon manquant dans une argumentation qui ne nous satisfaisait pas, sans que nous puissions pour autant mettre le doigt sur ce qu’elle avait d’insatisfaisant ou de non convaincant.
Cette “bienveillance” ne figure pas vraiment dans les apprentissages de la discussion scientifique en France, si tant est qu’ils existent d’ailleurs. Mais elle est présentée ici comme totalement liée à l’intelligence et cette articulation s’incrit dans une conception du savoir qui se développe beaucoup actuellement en philosophie et en épistémologie : l’ouverture de la catégorie épistémique à d’autres catégories, réputée plus subjectives, en particulier l’émotion et la vertu. J’ai cité Damasio pour l’émotion et je pense à Engel par exemple pour la vertu, qui explique dans Épistémologie pour une marquise que les savoirs possèdent des dimensions morales et pourquoi il faut supposer une norme cognitive, c’est-à-dire des valeurs aux savoirs. Sur un autre carnet, qui se construit lentement mais qui deviendra sans doute aussi une belle villa, Penser la recherche, Léo Coutellec a rédigé une série de trois billets sur la “démocratie épistémique“, où il défend l’idée qu’il existe une subjectivité et une dimension axiologique de la vérité. Je le suis entièrement sur ce point, car il s’inscrit dans une pensée robuste et novatrice (et… vraie, je le pense avec émotion !) actuellement sur la question.

La part du père : chercher qui nous sommes, toujours

En juillet, Benoît Kermoal ajoute une seconde pierre émotionnelle, dans un billet marquant, au titre magnifique : « Revenant d’Éragny, avec toujours cette violente émotion»: ma part de réflexivité. Enklask a choisi un dispositif où l’émotion est dite implicitement : le billet fait alterner le discours de l’historien et des encadrés plus personnels, qui déploient une parole adressée à un “tu”, le “tu” du père, jamais nommé cependant. C’est dans l’espace de l’articulation de ces deux discours que se trouve une sorte de réservoir émotionnel activable par le lecteur, pour peu, évidemment, que cet interstice lui parle, ou qu’il l’entende. Cet entre-deux est celui des raisons profondes pour lesquelles nous faisons ce ce que nous faisons, pour nous, de la recherche : “par nécessité”, écrit-il. “On ne peut pas se soustraire au monde” avait-il déclaré plus haut, et il faut sans doute comprendre dans ce “monde” toutes ses composantes subjectives, sentimentales, émotionnelles, tout ce qui nous fait humain, en somme. Il cite également cette belle remarque de Philippe Artières : “À quoi sert l’histoire : à  rester en vie”.


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