mercredi 17 mars 2010

Lire le Shobogenzo | comment ?

Vous me dites que s’il ya lecture du Shôbôgenzô, a fortiori il devrait y avoir non_lecture. Il vous faut définir ce que vous entendez par lecture et non_lecture, sinon ce genre de formule n’a d’intérêt que celui que l’on porte à préférer l’effet de manches à la réflexion.
Si la lecture n'est que le fait de lire le Shôbôgenzô, il suffirait alors de ne pas le lire du tout (non_lecture), bien qu’il me semble difficile, pour celui qui s’adonne à la pratique au sein du Zen Sôtô, d'espérer ne pas le lire quand on sait un peu lire si l’on est un peu curieux de savoir ce qu’il peut bien se raconter dans ces lignes énigmatiques.
Si la lecture de cette œuvre de Maître Dôgen est un moyen de trouver matière à justifier votre “penser“ et votre “ savoir“ pour imposer vos idées aux propos supposés de Maître Dôgen, votre lecture ne serait qu’un fait d’opinions. Quelques citations glanées par ci par là suffisent, le but étant de légitimer ses opinions. La non_lecture serait tout simplement ne plus donner le sens de vos propres concepts aux écrits de Maître Dôgen. C’est peut-être pour cela que vous n’y comprenez rien, d’autant plus que l’ouvrage et la pensée du moine ne sont pas faciles d’accès.
Une lecture dans le texte original du 13ème siècle passe forcément par une sorte de traduction. Il y a la spécificité de la langue, le style et le contenu qui s’inscrivent dans un système de pensée bouddhique qu’il faut avoir étudié au préalable pour accéder aux subtilités de la pensée dogenienne. Savoir "traire" les kanji et s’entortiller les méninges dans la singularité de la grammaire et de la syntaxe sino-japonaise ne suffisent plus.
Si vous ne pouvez pas vous en passer, si vous ne savez ou ne pouvez pas le lire dans le texte, la question serait de savoir si vous devez vous accorder à ne lire que les traductions certifiées par un collège de lettrés attestés. Je comprends que l'on puisse poser la question si le texte traduit ou commenté par ces lettrés ne cultive que la confusion. Cela peut être gênant si de lui dépend le cadre de référence pour la pratique. Je me souviens d’un fait qui m’a appris à garder une certaine distance quant aux conseils de certains sorbonnards : Lors d’une séance de travail sur un texte d'Edgar Allan Poe, un professeur nous disait que nous devrions nous abstenir de lire les traductions de Charles Baudelaire tant elles étaient infidèles. Il nous suggérait de prendre les siennes comme référence. Quand il m'a été donné de lire Edgar Allan Poe dans le texte original, j’ai pris conscience que les traductions de Charles Baudelaire rendaient bien mieux l’atmosphère de l’œuvre originale que celle de ce professeur. Charles Baudelaire avait usé de toute la subtilité de sa langue pour traduire celle de l’autre. Quel intérêt y-a-t-il à savoir si ce dernier avait traduit exactement la syntaxe de l’auteur ? Le pouvait-il vraiment ?
Toutes les traductions devraient transmettre un cadre fort utile. Celles qui ne le font pas sont sans intérêt, car elles ne s’attardent qu’à démontrer l’agilité cérébrale de celui qui les a faites. Vous souhaitez une liste de ces traductions ? Prenez le risque de lire toutes celles qui sont disponibles dans une langue que vous maîtrisez si vous en avez les moyens ou alors soyez radical, n’en lisez aucune. Toutefois, il serait peut-être adéquat d’adopter une voie médiane, celle de la libre lecture. La libre lecture, c’est se retrouver de plain-pied dans la pratique avec pour guide Maître Dôgen, mais pas s’y retrouver de plain-pied pour une finalité. Il vous faut devenir un homme comme il l’a montré - Maître Dôgen. Comment ? En étant tout simplement "ça", celui qui n’a besoin de rien d’autre. Votre compréhension suivra le cours de votre pratique ; parfois elle sera bonne, parfois elle sera confuse. Accepter ce fait, c’est le moyen le plus sûr de comprendre le Shôbôgenzô, et sachez que la réactualisation reviendrait à redonner du sens au verbe, soit par la construction, soit par la déconstruction ; sachez aussi que l’œuvre de Maître Dôgen est celle d’un homme qui est arrivé à une certaine connaissance de la Loi Bouddhique ; elle ne se mettra jamais en travers de votre route.

La lettre Kakudo Sensei  à Thomas Pour suivre les travaux du Projet Epure : http://goo.gl/iXY2