jeudi 4 mars 2010

Le présent



Bien que le passé ne soit plus et que le futur ne puisse être encore, nous ne pouvons pas pour autant rejeter le facteur temps. Dans son texte "Uji", Maître Dôgen dit, - Nous n’avons aucune raison d’en douter, nous avons pour preuve les empreintes du temps. Mais sans compréhension de cette modalité qu’est le temps, parce que traitée comme autre chose qu’elle-même, ses empreintes ne sont que des indices.

Pour Montaigne, vivre est chose exclusivement présente et pour Maître Dôgen, - Nous devrions étudier chaque chose dans le monde comme une manifestation du temps et chaque instant comme une accession à la réalité du monde. Cette réalité dans l’instant ou dans le présent est fugace, alors qu’est-ce-que le présent ? Comment pouvons-nous être au cœur même du temps se réalisant comme une continuité ?
Du fait de sa fugacité, il est difficile de se représenter ou de conceptualiser le présent. Selon Maître Dôgen - Le temps est la réalité de l’être, et comme il est cela, il est aussi ma réalité, donc je suis être_temps. Le présent se présente à nous du fait que nous le vivons, le sentons, le percevons, c’est le temps_présent. Le temps_présent, c’est éprouver ce qui se donne comme la réalité du monde, - Montagnes et océans ne peuvent avoir d’existence que dans le présent, ("Uji").


Le temps_présent est une présence à soi et au monde, où des choses sont en train de se produire et qu’on ne peut trouver ni dans le passé ni dans le futur. Bien que le passé et le futur puissent l’influencer, - Le temps du passé est une expérience que nous faisons dans notre existence présente ("Uji").
Le présent se révèle comme une donnée immédiate soit de la perception, soit de la sensation pure, soit du sentiment et pourquoi pas le tout à la fois, ceci nous menant tout naturellement à prendre conscience que c’est dans la relation avec le corps et avec les choses, par le geste aboutit et l’action, qu’il est possible de faire l’expérience du présent. Le geste abouti et l’action, un évènement qui s’écoule entre un début et une fin, sont nos occupations du moment. C’est en cela que le présent a du sens. Le présent, par sa spécificité, c’est se donner tout entier - … comme le pin et le bambou ("Uji").
Pour ne pas être présent, il nous faut refuser d’être confronté au réel, ne pas accepter qu’il soit ce qu’il est, et se réfugier dans la nostalgie du passé ou dans l’appréhension de l’avenir. Nous substituons la réalité à l’imaginaire, pour que notre monde soit à l’image de nos chimères. Il est simple de refuser le présent, il suffit pour cela de le combler de représentations. La représentation est faite de choses ou d’évènements qui n’ont pas existés ou qui ne sont plus. C’est rassurant et mortifère à la fois et prend du sens par le déjà vécu, c’est proustien. Il y a dans cette conception une perception négative du présent, parce qu’éphémère ou fugace.
Si nous ne refusons pas le réel du présent comme il nous est donné, alors le temps présent est le seul moment du temps qui dépende de nous, un moment qui est en notre pouvoir et sur lequel il nous est permis d’avoir une certaine influence. Alors, comment assurer une certaine pérennité de ce temps-là ? Quand Marc-Aurèle écrit, - A chaque heure, applique-toi de tout ton soin, il donne implicitement à ce temps une dimension autre qui implique un effort continu à vouloir être présent. Se perdre dans la facilité du présent peut amener à ne pas se sentir responsable de ce que l’on ait pu faire ou ce que l’on a été dans le passé, ou c’est refuser de s’engager pour l’avenir. Maître Dôgen dit à ce sujet, - Si vous admettez qu’elle (la succession de moment) puisse vous être étrangère, qu’elle ne puisse être qu’une manifestation possédant la faculté de se renouveler continûment, d’aller à l’Est, de traverser des centaines de mondes et ainsi durant des centaines de Kalpas, c’est que vous ne vous adonnez pas avec ferveur à la pratique de l’enseignement du Bouddha.
Pour que le présent prenne de la consistance, il faut l’inscrire dans la durée et cela n’est possible que si nous l’abordons sur le plan moral, sur le plan de la pratique de l’enseignement du Bouddha. Ce qui est moral ne peut s’accomplir dans la seule dimension du présent. En voulant être, nous engageons notre passé et notre avenir. Alors être présent devient recommencement, et à chaque instant il y a une renaissance. Ce recommencement assidu est le pouvoir du présent. Le passé devient acte de mémoire et le futur l’intention de devenir un Bouddha. Ce qui demeure constant est la pratique.

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